Après un parcours terrestre de 900km, je suis bien arrivée à ma destination finale, au Nord Niger.
Je suis l’invitée de Monsieur le Maire touareg de Gadabegi, la
commune où se situe la réserve animalière du même nom.
Et je vais passer ma première nuit sous une tente touarègue ! Je me sens en sécurité. Je m’endors rapidement. Mes deux gardes du corps, quant à eux, se relayèrent pour monter la garde. Ils furent “les gardiens des étoiles”, comme on dit joliment là-bas, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas fermé l’œil de la nuit.
J’appris aussi qu’ils avaient vérifié que j’étais toujours dans mon lit !
Et ce n’est que bien plus tard que Saidou, l’un des policiers, me confia le travail effectué en amont pour ma protection, pour sécuriser les lieux, pendant que moi, toujours dans l’ignorance de l’endroit où j’allais dormir, je faisais connaissance avec mon hôtesse, à l’intérieur de la maison.
Saidou m’écrivit :
"J’ai été beaucoup touché d’apprendre qu’à notre arrivée chez nos hôtes, vous avez été laissée dans le
noir, sans que je m’en rende compte. Mais mon collègue et moi, la première chose que l’on a demandée, c’est où vous
alliez dormir. Puis on a fait l’inspection des lieux, on est entré dans la tente pour vérifier ce qui s’y trouvait réellement. C’est la
procédure suivie par nos services. Mon erreur a été de ne pas vous demander votre numéro de téléphone pour vous tenir au courant. Après
l’inspection de la tente, j’ai dit à Ali : “Gare le véhicule en position départ car ça peut changer de couleur à tout moment.” Puis,
rapidement, mon collègue décida “Voilà où nous allons placer nos lits pour la nuit. On pourra observer tous les mouvements dans la cour.”
Et on a fait une ronde de 3h chacun, avec des allers- retours, de la porte d’entrée jusqu’à nos lits. Notre présence et notre contrôle de la maison a fait en sorte que les jeunes gens qui vivent dans la cour sont restés tranquilles jusqu’à ce qu’ils nous disent, je cite “ A cause de vous, on ne peut même pas sortir pour aller voir nos copines. Et moi, j’ai dit : ” Prenez un congé ! C’est juste pour quelques jours et après on partira.”
Le lendemain, mon hôte m’accorda un entretien. J’étais impatiente d’en connaitre un peu plus sur les Touareg de cette région. En 2018, j’avais séjourné chez les Touareg d’Agadez et je me demandais si des différences existaient entre eux.
- Est-ce que les Touareg de cette région sont complètement sédentarisés ?
- Oui, mais nous déplaçons nos troupeaux en fonction de la pluie et des pâturages. Par exemple, en ce moment, mes dromadaires sont à 200 km d’ici. Nous avons un berger pour s’occuper d’eux.
Nous, les Touareg, sommes des éleveurs de dromadaires. Mais avec la sédentarisation, nous avons commencé à élever des bœufs.
- Et quand vous vous déplacez pendant la saison sèche, vers où vous dirigez-vous ?
- Vers le sud. La transhumance se fait au gré de la libération des
champs. Les transhumants descendent pour bénéficier des résidus des cultures.
- Que pouvez-vous me dire sur les Touareg et la réserve de Gagabegi?
- C’est la seule réserve au Niger située en zone pastorale. Et plus vous allez vers le nord, plus vous avez des problèmes d’eau.
- Comment la population touarègue est-elle impliquée dans ce projet de la protection de la faune et de la nature ?
- Vous savez, les Touareg ne sont pas des gens qui attaquent la nature.
Les dromadaires comme les girafes consomment le pâturage aérien, pas de pâturages terrestres. Le seul dégât au niveau des éleveurs, c’est le feu de brousse, surtout à la sortie de la saison pluvieuse. Mais au niveau conservation, les Touareg sont de très bons conservateurs.
- Sont-ils impliqués directement dans diverses activités de la réserve ?
- Oui, ils sont déjà impliqués dans cette dynamique. Les guides, puisqu’ils habitent ici, et puis les éco-gardes qui sont le trait d’union avec les Eaux et Forêts.
Ils ont signé un pacte avec le Ministère de l’Environnement.
En 1992, quand le projet de création de la réserve est venu, les gens ont refusé de quitter la zone. Alors, on a fait petits pactes avec la population. On leur a donné l’autorisation d’entrer dans la réserve de 8 heures à 18 heures pour que leurs troupeaux puissent paitre.
Les gens au nord font 200 km pour venir se ravitailler au marché, donc ils traversent la réserve (qui fait 116 000 hectares)
- Ici, contrairement à Kouré, les girafes n’entrent pas en conflit avec la population car elles ne mangent pas les récoltes des agriculteurs.
Donc à Gadabegi les gens n’ont aucune raison de s’attaquer aux girafes.
- Vous savez que la girafe de Kouré est issue de Gadabegi? Donc finalement, avec cette translocation, elles sont revenues chez elles.
Dans les années 1970, on a eu une grande sécheresse ici et beaucoup sont mortes. Pour sauver les autres, on les a transportées à dos de dromadaire vers Kouré.
- De façon générale, vous avez la même culture que les Touareg d’Agadez ?
Oui, c’est la même. La seule différence est que les Touareg d’ici vivent mieux que ceux du nord ; les maisons sont moins chères ici qu’à Agadez. De plus, nos animaux bénéficient des résidus des champs.
- Alors, comment résumer la culture touarègue ? A l’origine, il y a le nomadisme, l’élevage et le dromadaire. Quoi d’autre ?
- La liberté ! C’est vraiment ce qui marque le plus la culture touarègue, se déplacer où on veut. C’est un mode de vie. On peut se déplacer juste pour 10 km. On emporte sa maison. Et quand il pleut, on suit la pluie. Tandis que l’agriculteur lui, reste fixé au niveau de son champ.
- Est-ce que vous vous sentez différents des autres Nigériens qui ne sont pas touareg ?
- Oui, d’abord la qualité de vie : on trouve plus de gens riches parmi les pasteurs touareg que parmi les sédentaires. Et au centre de santé, on a constaté plus de cas de malnutrition chez eux. Et puis chez nous, le matriarcat existe toujours. La place de la femme est différente. C’est elle qui gère la famille. Quand un couple divorce, elle part avec les enfants et sa tente !
- Quand vous vous déplacez, quelles habitudes transportez avec vous ?
- Même à Niamey, on va aller s’isoler au bord du fleuve pour prendre un verre de thé.
Je remerciai mon hôte pour son temps. Malik, son fils et mon guide improvisé, m’attendait pour m’emmener rendre visite aux artisans du village.
* Nasara = étrangère, blanche
Lire la suite: Une Nasara Au Pays Des Girafes - Episode 3
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